Il fait beau, encore, une fin d’été qui s’attarde. Le monastère Sainte Sophie est un havre de paix et la cathédrale, une splendeur, avec ses coupoles vertes et dorées, ses mosaïques byzantines. Quels mots peuvent donner idée de l’atmosphère recueillie des églises orthodoxes – même les plus grandes ? La rareté de la lumière invite à la prière, au retrait en soi. Et puis, cette église en contient une autre, Saint Michel, détruite sous Staline pour édifier un bâtiment officiel puis reconstruite à la proclamation de l’indépendance. Des mosaïques et des fresques ont pu être sauvées, entreposées dans cette cathédrale proche. Saint-Michel n’est pas loin de Maidan et lors de la révolution, un soir, des manifestants acculés ont frappé à la porte du monastère – qui paraît frêle, insérée dans ce long mur blanc. Les moines leur ont ouvert puis ont refermé la porte sur les policiers. En amont de Maidan – cette longue place devenue en 2013 symbole, traversée par la rue Krechtchatyk, l’une des artères les plus belles de Kiev – des photos rappellent les morts de cette révolution. En Ukraine, la photographie semble être l’art du recensement des défunts.
Krechtchatyk
© Cécile Wajsbrot
Nous retrouvons Maria, bibliothécaire de l’Institut Goethe, pour une promenade au parcours accidenté – Kiev est une ville de collines – dans le quartier de Podil, avec ses maisonnettes colorées, autrefois un quartier pauvre, la ville princière s’étant construite sur des hauteurs, devenu, avec ses rues étroites, l’un des lieux favoris des artistes. Combien, à Kiev, sont venus d’ailleurs ? De Crimée, du Dombass, arrivés avant l’annexion ou la guerre, ayant fui alors, venus avec leur famille ou ayant laissé quelqu’un sur place. Toute liaison aérienne entre l’Ukraine et la Russie est coupée. Il n’y a plus de train pour aller de Kiev à Sébastopol – il faut s’arrêter à la frontière, descendre, changer, prendre un bus. Et le préfixe, pour téléphoner, est devenu russe.
© Anne Weber
Après une pause déjeuner au self Puzata Hata – où s’étalent les plats que faisait ma grand-mère sous d’autres noms, pelmeni et vareniki pour les kreploch, bramboracky pour les latkes, seul le bortsch s’appelle ainsi dans toutes les langues – nous allons au musée de Tchernobyl. Le Dniepr, qui coule au bas de cette colline, a pour affluent la Pripiat, qui longe le site de la centrale et la ville du même nom, devenue fantôme, dont l’une des salles du musée répertorie la brève vie – seize années … Le fonctionnement de la centrale atomique, les circonstances de l’accident, l’uniforme blanc des liquidateurs, la tenue inadaptée des pompiers, et les photos, encore et toujours, des envoyés sur cet étrange front, tout est là, exposé, éclairé par les explications d’une formidable guide. Au bout du chemin, les témoignages de soutien dont ceux des Japonais dès avant Fukushima. Et une carte où s’allument les centrales nucléaires encore en fonction. Beaucoup en France, bien sûr, tandis que l’animation qui montre la progression du nuage de Tchernobyl prouve bien que la France, contrairement aux affirmations d’alors et aux croyances encore ancrées chez les visiteurs français d’aujourd’hui, paraît-il, ne fut pas épargnée. Tchernobyl – à cent kilomètres de Kiev. De nombreux habitants de Pripiat furent évacués dans la capitale. Quelques centaines sont revenus vivre dans la zone interdite – des femmes âgées, surtout, souhaitant terminer chez elles leur vie. En voyant, à l’entrée, l’étagement des panneaux indicateurs des villes et villages devenus lieux interdits, en voyant, à la sortie, leur autre face, je pensais au village de Fleury, au pied de l’ossuaire de Douaumont, détruit pendant la Première Guerre mondiale et devenu forêt dont les chemins portent le nom des anciennes rues, je pensais aux paroles recueillies par Svetlana Alexievitch dans son beau livre sur Tchernobyl – une guerre où l’ennemi est invisible.